jeudi 21 mai 2009

blog

Simon Bossé-Pelletier
Texte 3
Remis le 21 mai 2009
http://www.youtube.com/watch?v=OXSkfTedVb0&feature=related
Blog
Je relisais les entrées de vieux blogs. Fuck non! Pas trop souvent! C’est comme se gratter le souvenir dans le fond du crâne avec un crochet à dentiste. Ça irrite, ça saigne, mais on continue pour aller au bout de la chose. On se construit une synthèse, puis on arrive à un bilan, avec des conclusions, des leçons, des tapes dans le dos : c’est épuisant.
Se sont comme des photos : avec de belles ou de laides poses; sur le vif ou figés, mais à la différence près que l’on sait la suite, le dénouement, les victoires, les défaites. Puis bon, viennent les questions gnangnan au conditionnel : «Que se serait-il passé si…?». Puis là le fuck torrent me reprend, je me dis que j’écris mieux sur un blog parce que j’aime le spectacle, que j’aime mettre en scène des choses, pour ensuite mettre du flafla pour rendre le tout intéressant. Je vous ai dit que je m’ennuyais facilement? J’aime bien aussi les blogs, parce qu’il n’est pas nécessaire d’être compris. Comme dans une conversation (ça me rappelle l’entrevue de Kerouac à radio-can): on dit, on dit, on raconte plein de choses sans nécessairement s’arrêter, et l’Autre ne comprend pas tout, n’a pas les mêmes référents, et transporte les non-dits dans son imaginaire à lui, et c’est là que le texte commence à raconter à lui seul des trucs. Mais il y a des gens qui prennent les blogs pour la vraie vie, et cela commence à devenir dangereux, certains n’en reviennent pas. La ligne est mince.
Cela fait maintenant 4 ans que je blogue à presque tous les jours. En fait, je peux écrire jusqu’à 5 entrées par jour. Je peux parler de tout : d’un machin youtube, du dernier livre que j’ai lu, d’une conversation avec des gens, de la vie (ce qui est intéressant, c’est que lorsqu’on a terriblement peur d’être kitsch et que l’on aime le spectacle, on s’oblige à avoir du style pour donner une façade cool à des émotions 100 milliards de fois vécues).
Je suis même tombé en amour avec elle, avant même de lui avoir parlé. Elle n’écrivait pas avec une plume, elle écrivait au canif rouillé, et ça ne saignait jamais, car c’était fait lentement. Je l’ai lue religieusement (elle n’écrivait jamais assez cependant) durant six mois avant d’écrire mon premier commentaire. Elle m’a répondu, puis elle a lu mes trucs. Elle disait que j’écrivais bien, parfois. Elle complétait mes entrées, je complétais les siennes. On écrivait 20 pages par nuit, on clavardait à s’en faire péter le crâne.
Puis, nous nous sommes rencontrés.
Puis je suis devenu son ami. Ça m’a tué 127 fois. Je n’étais pas obsédé par elle, c’est juste qu’il y avait… cette connexion cosmique gnangnan — pourtant je déteste les machins ésotériques. Elle me comprenait tant. Je ne sortais plus. Je passais mes journées à lire les entrées, sur son blog, qui se faisaient de plus en plus distantes; elle avait un copain, je l’ai su avant qu’elle ne me le dise. C’était à la longueur de ses phrases, son champ lexical s’était un peu déplacé, il y avait toujours un homme dans ses textes. Je croyais que c’était moi au début (haha!). J’ai écrit mes 127 morts, les plus kitsch en passant par les meilleures (oh nenon! pas de morts physiques), je mettais en scène tout ça. Je menaçais d’arrêter d’écrire à tout jamais.
Silence.
Puis le temps a passé. Je ne l’ai plus revue/relue. Le dernier billet sur son blog n’était qu’une phrase : «Je ne suis plus la, et toi non plus…». J’ai dû passer un mois sur cette phrase. Était-ce une faute de frappe pour le «la» sans accent? La virgule également m’obsédait, en plein centre, comme s’il y avait un mur ou un écran entre le «Je» et le «toi». Et les trois points de suspension semblaient suggérer une mélancolie, une certaine tristesse. Parlait-elle de son gars? Impossible. Elle pense à moi. J’existe donc encore? Il fallait aller jusqu’au bout.
Je n’étais pas sorti depuis des mois. Je ne répondais qu’à mes courriels, disant à ma famille que tout allait bien, et que j’avais hâte de retourner les voir l’été prochain (ils étaient rassurés). J’avais plein de correspondants, mais aucun ami. J’avais pris ce terme en grippe, depuis vous savez quand. J’ai commencé à trouver bizarre ne plus recevoir de nouvelles de personne (tout s’est fait progressivement). Cela m’importait peu, au moins je continuais à avoir entre 1000 et 3000 visiteurs chaque jour sur mon blog. Plus j’écrivais, plus il y avait de gens, et plus il y avait de gens… (Vous comprenez). Je mettais les gens en garde contre l’autofiction, je trouvais ça con.
Puis, elle m’a écrit un commentaire avec son canif rouillé sur mon dernier texte (encore de la mastication d’émotions),: «Tu n’es qu’un blog, je ne suis qu’une idée».
Étrangement, à cet instant, j’eus le réflexe de regarder mon reflet dans l’écran de l’ordinateur sur une page noire. J’ai cherché durant dix bonnes minutes, pour ne trouver que le reflet du miroir derrière (moi?) qui reflétait l’écran. J’étais sur la page de mon blog.

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